Le Sort en est jeté d'Elodie Serrano

Paraît-il que les nouvelles seraient difficiles à vendre, peu lues, etc. Pour ma part, j’aime beaucoup l’exercice, qui oblige à être concis dans l’écriture. Créer une ambiance, présenter des personnages et dérouler une intrigue dans un texte court demande de la concision, de la précision et n’est pas donné à tout le monde. En ce début d'année, je partage avec vous mon avis sur un recueil de textes fantastiques, au sens où j'aime ce genre : celui qui joue avec les frontières de notre réel.

Le Sort en est jeté d'Elodie Serrano

Le mot de la maison d’édition
C’est souvent au prix d’un coup de dé qu’on peut espérer parvenir à l’accomplissement de ses désirs. Mais ce résultat justifie-t-il le risque ? Pour qui s’est vu couronné de succès, la réponse est évidente. Mais au moindre faux pas, une fois les épreuves passées et les blessures pansées, ne reste que le regret de notre naïveté. Quoi que l’on souhaite – un oiseau perdu, une poupée, un ami, la reconnaissance ou la vengeance – le destin est joueur. Et si la mort est de mise, elle n’est pourtant pas la pire des éventualités.
Oserez-vous lancer les dés du destin ? Alea jacta est : le sort en est jeté, comme on dit. Reste à découvrir s’il sera en votre faveur…
Dans ce premier recueil d’Élodie Serrano, cauchemars et ironie, frissons et humour se donnent rendez-vous autour de ce coup de dés qui, paraît-il, n’abolira jamais le hasard… pour votre plus grand plaisir de lecture.
 

Mon avis
Dans ce recueil, Élodie Serrano a réuni des textes relevant du fantastique, voire de l’horreur, teintés parfois d’humour et de poésie. Des textes courts, pas des « mini romans », mais de véritables nouvelles dans lesquelles on trouve souvent du récit fantastique au sens « classique » du terme – un jeu entre réel et imaginaire, réel et folie. Un regret relevant davantage du travail éditorial : coquilles et soucis typographiques. Mais rien qui empêcherait d’apprécier ces textes réunis en un ouvrage à la couverture très réussie pour le côté graphique, et au toucher agréable.


« Communion » : Marie n’aime pas prendre l’ascenseur de son immeuble, où se serait déroulée une tragédie… Une ambiance angoissante à souhait qui monte efficacement dans la terreur.

« Au fonds du puits » : la jeune narratrice raconte dans son journal qu’elle a perdu son Twikie et ses chaussettes. Les suspects sont tout désignés : les lutins ! Ne souriez plus : cela pourrait être mignon, mais devient aussi sombre qu’un cauchemar d’enfant. (Il y aurait là matière à développer !)

« Muse à vendre, accepte âmes » : au fin fond des États-Unis, la narratrice, autrice en mal d’inspiration, attend son contact. Et va rencontrer un ennemi inattendu mais finalement très bien vu de la création !

« Belle » : Léa est belle, on le lui répète assez, et elle pense que c’est là son unique don, alors même que ses parents attendent autre chose d’elle. Une histoire de récit initiatique, dont l’héroïne m’a émue.

« Ceci est mon corps » : le narrateur est un homme malheureux, qui se sent raté. Dès les premières lignes, il nous indique ce qu’il souhaite : mourir. Mais pas seul. Il cherche donc de l’aide – des complices – et va en trouver… Terrifiant !

« Créatures ratées anonymes » : la narratrice est une vampire atteinte d’un handicap un peu particulier ; pour se sentir moins seule, elle décide de participer à un groupe de parole un peu particulier… Une nouvelle en apparence légère, mais qui aborde de façon habile et intelligente le handicap.

« Buffet à volonté » : grâce à son métabolisme à toute épreuve, Marianne peut satisfaire sa gourmandise sans se soucier de sa santé. Et montre une fâcheuse tendance à la cruauté envers les personnes qui n’ont pas cette chance. Une nouvelle qui utilise habilement les codes certains contes de notre enfance, avec la personne inconnue envers qui le personnage principal montre peu d’égards, et qui se révèle être d’une nature tout autre… 

« La vengeance dans le feuillage » : une route en construction, un bosquet qu’on assassine, et une vengeance qui dure des années. La version « thriller » de La Vie secrète des arbres… Cela m’a rappelé également certains passages du Guerrier Shamane de Robin Hobb. 

« Querelle de voisinage » : le bruit d’une perceuse chez un voisin indélicat, une explication qui tourne mal, puis la colère qui prend le pas… Un court récit bien mené à l’ambiance cauchemardesque.

« Le collectionneur d’étoiles » : tous les soirs, Pierre part à la pêche aux étoiles. Mais à force de pêcher, on en épuise ce qu’on aime… Un très joli conte poétique, tout en douceur. 

« Un capybara, et que ça saute ! » : Martial travaille pour Hadrien le Second, roi lutin, et a pour rôle de réaliser les caprices du souverain. Et ce matin-là, la petite-fille du roi voudrait un capybara pour le soir. Un récit amusant, dans lequel sous-tend la réflexion sur les caprices du pouvoir et leurs dangers.

« Festin nocturne » : la narratrice tourne une vidéo amateur pour les réseaux sociaux, dans une mine désaffectée. Son but : sans doute « faire des clics » avec une vidéo oppressante, façon « Rec ». Une chouette nouvelle qui oscille entre ambiance à la Lovecraft et humour potache.

« L’attaque des vaches zombies » : Gérard travaille dans un abattoir. Cela pourrait être tranquille, mais ce jour-là, une des bêtes abattues décide de se carapater… Des zombies originaux et une fin hilarante ! Qui donne envie de se manger une bonne salade. Végétalienne.

« Du coin de l’œil » : la narratrice voit des choses, du coin de l’œil d’abord puis de plus en plus clairement, qu’elle ne devrait pas voir. L’ambiance se fait de plus en plus oppressante jusqu’au final. Une réflexion sur la peur de l’autre.

« La mort au tournant » : Hélène et ses parents s’apprêtent à passer les fêtes de fin d’année dans un chalet. Mais Hélène n’a pas le cœur à la fête : depuis longtemps, un don particulièrement lourd à porter l’empêche de savourer ces moments d’insouciance. Un texte poignant.

« Payer pour ses crimes » : 2052, un criminel est incité par ses geôliers à tenir un journal. Il y revient sur son histoire, son crime… et nous détaille son châtiment. Où l’on retrouve les vaches zombies, et où l’on réfléchit à la pertinence de l’usage d’actions violentes dans les luttes militantes. Très pertinent.

« Le marionnettiste » : Natel déteste les marionnettes, mais surmonte sa peur pour faire plaisir à sa petite sœur. Il entre dans un atelier… Une courte nouvelle qui va réveiller votre terreur des poupées, marionnettes et autres personnages créés de la main de l’homme.

« Le voleur de mots » : la narratrice est une « redresseuse de torts magiques » qui traque les utilisateurs de magie noire et les empêche de sévir. Elle rencontre ainsi des victimes du voleur de mots et le prend en chasse… Les apparences sont souvent trompeuses, et juger trop vite se révèle ici une lourde erreur. Pertinent.
 

Informations complémentaires
Le Sort en est jeté, d’Élodie Serrano https://elodieserrano.wordpress.com/ 
Éditions Malpertuis, distribution Malpertuis  
Illustration de couverture : Aurélien Maccarelli http://www.theartofkingg.com/Bienvenue.html 
N° 44
ISBN : 978-2-917035-51-1
15,6 x 23,4 cm. 172 pages. 13 €.
Parution : septembre 2017
De la même autrice, à paraître aux éditions Plume blanche : Les Baleines célestes
 

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