Les ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables ? Ou de poneys ?
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Cela faisait bien longtemps que j’essayais de le rencontrer. Ses micronouvelles, dans la Fabrique de Littérature Microscopique et dans les Microphémérides, me faisaient souvent hurler de rire. Sa nouvelle parue dans l’anthologie Fées dans la ville (éditions Actu SF) m’avait bouleversée. Après bien des déboires, je réussis enfin à lui parler, moi en mode quasi-midinette :
« Oh, j’adooooooore ce que vous faites, s’il vous plaît écrivez-moi une dédicace avec des poneys »,
lui en mode poli façon...
« Mais qui c’est, celle-là ? ».
Bref, comme souvent, la rencontre mille fois imaginée fut foirée par mes soins, mais j’avais réussi à obtenir une dédicace unique au monde dans laquelle figure sept fois le mot « poney », et je
ne peux croire qu’il s’agit d’un hasard, car comme l’écrit Karim Berrouka :
« on trouvera un autre excellent exemple du symbolisme du chiffre sept dans le conte Jack et les sept ours-trolls s’inscrivent au taekwondo et s’en vont
défoncer la tronche du schtroumphf à lunettes ».
Reprenez votre souffle. Vous en aurez besoin pour ce qui suit.
Le mot de l’éditeur
Il y a des nains furieux qu’on leur ait dérobé leur or, Jack qui n’est pas très pressé de monter à son haricot, Cloclo qui se réincarne dans le métro et des jeunes
filles habillées de blanc qui hantent les routes la nuit...
Mais il y aussi des enquêtes glauques et angoissantes, l’enfer des combats à Falloujah et des ombres qui, chaque soir, dansent pour leur public.
Entre fantasy et fantastique, Karim Berrouka nous propose un livre où le rire se mélange à l’effroi. Des délires les plus fous aux atmosphères les plus sombres,
peut-être bien, au fond que les ballons dirigeables rêvent parfois de poupées gonflables...
Mon avis
L’éditeur a tout juste. Karim Berrouka nous ballote entre récits bouleversants, comme le très fort L’Histoire commence à Falloujah qui ouvre le recueil, et parodies déjantées. Tout y passe : on
jubile à tordre les contes dans tous les sens, on bafoue les codes élémentaires de l’enquête policière, et on frémit à la danse des ombres d’un cirque particulier.
Les nouvelles
"L’Histoire commence à Falloujah" : un djinn parmi les explosions et les gravats ;
un texte fantastique qui prend aux tripes. Et un violent coup de pied aux crétins qui annonçaient la fin de l’Histoire.
"Concerto pour une résurrection" : Cloclo est vivant, mais pas que lui ! Fous rires et une bizarre envie d’écouter Radio Nostalgie dans le RER.
"Elle" (inédite) : des enquêteurs aux prises avec un étrange meurtrier aux rituels évolutifs… un texte qui fait froid dans le dos, où l’auteur manie les codes
du polar et ceux du conte fantastique à la façon d’un Edgar Poe.
"Éclairage sur un mythe urbain : la Dame Blanche dans toute sa confondante réalité" : des conducteurs prennent des demoiselles mutiques en stop… le mythe de
la dame blanche est dépoussiéré ! Une assemblée des Dames déjantée, un peu façon « Kaamelott ».
"Dans la terre" : un créateur-potier, des créations de terre, une immense solitude et la douleur qui grandit au fil de la prise de conscience.
"Jack et l’homme au chapeau" : il ose mettre des calottes à Jack, cet ado fainéant et cradingue qui préfèrerait rester sous la couette plutôt que de suivre le
storyboard. Et il n’hésite pas non plus à grossir le trait de ces interprétations psychanalytiques simplistes qui sont faites des contes de fées !
"Le Siècle des lumières" : une uchronie triste et cruelle, dans laquelle la guerre entre les fées et les humains est impitoyable. Petite amertume, parce que
j’aurais bien aimé que l’histoire continue.
"De l’art de l’investigation" (inédite) : un détective privé, des clients difficiles, une enquête a priori impossible à résoudre au sujet d’un casse a priori
impossible… ça pourrait être un poncif si ce n’était pas écrit à la sauce « Berrouka en délire ».
"Le Cirque des ombres" : sur une piste, dansent des ombres qui jouent leur vie pour un public nostalgique d’une époque révolue. Le narrateur est le chef du
cirque des ombres. Il est leur père… un récit troublant, qui m’a rappelé par moments l’univers du Sunset Circus de Jacques Fuentealba.
Le style est travaillé avec soin, comme le ferait un maître en ferronnerie d’art. Et l’interview de fin est à la mesure de tout le recueil : loufoque et
fichtrement riche à la fois. Après tout, il le dit lui-même :
« …il faut faire un choix : écrire pour plaire ou écrire pour péter des rotules ». Le choix est clair.
À recommander aux lecteurs qui apprécient suffisamment les contes, le polar, le fantastique, et la langue française et ses subtilités pour savoir en rire.
Informations complémentaires
Les ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables ?, de Karim Berrouka aux éditions Actu SF
Distribution : Harmonia Mundi
(Très chouette) couverture : Cesar MORENO
Parution : février 2013
Nombre de pages : 240
ISBN : 978-2-917689-46-2