François Busnel, la litté jeunesse et L'Effet Ricochet
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« Je dois l’avouer, je n’ai jamais cru aux vertus de ce que le monde de l’édition appelle la “littérature jeunesse”. Sans doute est-ce une tare, mais ce “secteur” m’est toujours apparu comme une invention marketing destinée à écouler une production souvent mièvre et à soutenir des maisons en mal de chiffre d’affaires. Je n’en accable ni les éditeurs ni les lecteurs, mais ma propre incapacité de me plonger avec délice dans des versions expurgées de chefs-d’œuvre dits “classiques” ou des resucées plus ou moins niaises de textes que l’on gagnerait à faire lire dans leur version originale. »
François Busnel, dans L’Express
C’est effectivement ne pas connaître du tout la variété des thèmes et des formes littéraires du secteur jeunesse que de se permettre le réduire à des « resucées » ou des « versions expurgées ». Si vous aviez la moindre curiosité, monsieur, vous pourriez découvrir de très beaux romans traitant de thématiques aussi importantes que variées : le sort des Juifs, des Tsiganes et des handicapés pendant l’Occupation (42 jours de Silène Edgar aux éditions Castelmore) ; les mariages forcés (Le cœur n’est pas un genou que l’on peut plier, de Sabine Panet & Pauline Penot, aux éditions Thierry Magnier) ; la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Fugueuses, de Sylvie Deshors, aux éditions du Rouergue) ; le 17 octobre 1961 (Les Fantômes d’octobre – 17 octobre 1961, d’Ahmed Kalouaz, chez Oskar Jeunesse)... Cela vous changerait des sempiternelles autofictions de la rentrée littéraire.
Parmi les romans parus cette année, celui-ci réunit deux genres que vous ne lisez pas et que j’affectionne : la jeunesse et la science-fiction. Deux genres qui ouvrent l’âme en allant réfléchir sur autre chose que le nombril de l’auteur (moi aussi, je peux être de mauvaise foi et réduire un pan de la littérature à un minuscule aspect).
Le mot de l’éditeur
Dans un futur proche, le clonage est devenu le seul mode de reproduction possible. Mais derrière cette procédure devenue banale se cache un secret qui pourrait bien menacer la vie de Malou…
Le jour où sa petite sœur se casse le bras, Malou, 16 ans, réalise qu’elle, ses sœurs et leur mère ont connu les mêmes accidents et les mêmes problèmes de santé, exactement aux mêmes âges. Ça ne peut pas être une coïncidence… (…)
Mon avis
Comme souvent en (bonne) littérature jeunesse, ce roman permet plusieurs niveaux de lecture.
La première des thématiques les plus évidentes est évidemment la pollution chimique à grande échelle qui menace la fertilité humaine : c’est hélas une menace avérée, qui avait déjà été analysée en 2010 par le docteur Pierre Duterte et Gérald Messadié dans Le Krach du sperme aux éditions L’Archipel. Avec la recherche sur le clonage et ses dérives, on aborde la bioéthique, et les collusions néfastes entre industrie, politique et recherche. Enfin, c’est toute la notion de « famille » qui est repensée, puisque la « mère » de Malou et ses sœurs est l’être qui a été cloné pour leur donner naissance.
Toutefois, l’autrice ne s’en tient pas là : avec cet « effet Ricochet », elle nous fait réfléchir à la notion de transmission du traumatisme entre les générations et sur la définition de destin personnel. Qu’est-ce qui constitue la singularité d’une personne ? Comment sa vie peut-elle être influencée par les événements qui ont marqué ses parents avant même sa naissance ? Quelle part ce « poids » originel peut-il laisser au libre arbitre ? Le traumatisme profond qui a modifié la psychologie de la mère peut-il peser également sur ses filles ? Cette dernière thématique constitue un sujet de recherche contemporain, développé notamment par Florence Calicis dans La transmission transgénérationnelle des traumatismes et de la souffrance non dite. Dans le roman, cette question est au cœur de l’enquête de Malou sur l’histoire de sa mère et de sa grand-mère.
L’écriture est soignée, comme toujours chez Nadia Coste. Le récit au passé ne confond pas, contrairement à ce qu’on trouve désormais trop souvent en « littérature générale » ou « contemporaine », le passé simple avec le passé composé… On a beau être plongé dans un monde où écrans et réseaux sociaux sont partout, on n’en oublie pas d’être attentif au vocabulaire.
Le jury des Utopiales ne s’y est pas trompé, qui a sélectionné ce titre pour son prix Utopiales jeunesse.
Voilà, monsieur Busnel, ce à quoi vous auriez pu réfléchir si vous aviez pris la peine de vous intéresser à ce beau titre de littérature dite « jeunesse ». Peut-être ces titres sont-ils classés en jeunesse que parce qu’ils peuvent se révéler dérangeants pour les adultes qui refusent toute remise en question ?
Extrait
« Ce jour-là, un déséquilibré avait foncé dans la foule, un couteau à la main. Le père de Malou s’était interposé sans succès. Il avait succombé à ses blessures tandis que le couteau de l’agresseur tailladait le ventre de sa femme. Le corps de cette dernière avait survécu ; pas son esprit. »
(p. 65)
Autre extrait
http://www.seuil.com/ouvrage/l-effet-ricochet-nadia-coste/9791023508598?reader=1#page/1/mode/2up
À lire aussi de Nadia Coste
L’Empire des auras, éditions Seuil jeunesse Chronique
Les Fedeylins, éditions Gründ Chronique
Les élémentaires, éditions Castelmore
Seuls les alligators vous entendront crier, éditions Scrineo
Le Premier, éditions Scrineo
Ascenseur pour le futur, éditions Syros
SpaceLeague, éditions L'équipe (4 tomes disponibles)
Les yeux de l'aigle (7 tomes), éditions Gründ
Informations complémentaires
L’Effet Ricochet, Nadia Coste
Blog de l’auteur : http://nbcoste.blogspot.fr/
Éditions du Seuil – distribution Interforum Fiche éditeur
Date de parution 23/02/2017
Papier : 13.90 € TTC – 256 pages – EAN 9791023508598
E-Pub : 9.99 € TTC – EAN 9791023508604