Vampires à Bordeaux: Le Dernier Vampire et Dans les veines

  • À l'ombre des nénuphars - Gertrude - Sandrinoula
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Dans ma boulimie d’histoires vampiriques, après L’Héritière de Jeanne-A Debats et les nouvelles autour de son Navarre, j’ai découvert deux autres belles plumes féminines qui se sont attaquées aux vampires – et les deux histoires se passent à Bordeaux, en totalité pour l’un et en partie pour l’autre.

Je vous propose donc une grille de lecture de ces deux romans : Le Dernier Vampire, de Jeanne Faivre d’Arcier (grand format, éditions Bragelonne), et Dans les veines, de Morgane Caussarieu (poche, collection Hélios).

Vampires à Bordeaux: Le Dernier Vampire et Dans les veinesVampires à Bordeaux: Le Dernier Vampire et Dans les veines

Genre

Le Dernier Vampire : le roman comporte plusieurs parties, écrites selon les codes de genres différents. La partie « thriller » nous permet de suivre le jeu du chat et de la souris entre le vampire et l’enquêtrice, tandis qu’ici et là alternent des chapitres traités sur le mode du roman historique, dédiés à la période de la Terreur et à la jeunesse du vampire. Le suspense tient habituellement à une interrogation ; ici, il change de nature en cours de récit (un tour de force narratif !).

Dans les veines : pas de mémoire pour les vampires, qui la perdent au fil du temps, donc on est dans le présent, dans l’immédiat… Ils n’ont pas non plus de remords, de conscience ou d’empathie : on est dans le thriller sanglant, de nouveau un jeu du chat et de la souris, mais avec la cruauté exacerbée du chat se demandant si la souris peut courir une fois sa queue arrachée.

 

Situation de départ

Le Dernier Vampire : 2028, à Paris. Le jour, l’inspectrice Christine Deroche enquête sur des meurtres d’hématologues et cancérologues de l’INSERM. Le soir, elle remplace (sans talent !) une actrice dans une pièce contant la Terreur, pièce qui intéresse grandement un être semblant avoir vécu cette période. Attention : pas d’invention extravagante, le seul indicateur du temps qui a passé par rapport à notre époque est la fameuse maladie qui frappe les vampires.

Dans les veines : époque contemporaine, à Bordeaux. Une belle Asiatique berce un bébé dans un arrêt de bus… Un enfant demande à une passante de l’aider à retrouver sa maison… Un groupe de jeunes terrorise les clients et le personnel d’un supermarché… Et deux enquêteurs cherchent à comprendre qui est le fou qui découpe façon puzzle ses victimes.

 

Les vampires

Le Dernier Vampire : rares sont les vampires dans le roman ; on suit celui des vampires (longtemps sans nom) encore en apparente bonne santé, celui qui cherche à savoir si Christine est bien « sa » Christine. On découvre que la plupart des vampires ont disparu, pour des raisons plutôt logiques si on y réfléchit… Celui-ci a les caractéristiques habituelles : usant de son charme, rapide, précis, manipulateur et stratèges – mais psychologiquement instable dès qu’est évoquée la Terreur.

Dans les veines : épouvantables, féroces, cyniques, inventifs dans leurs tortures, impulsifs jusqu’à la bêtise pour l’un d’eux, terrifiant pour le plus jeune, ceux-là perdent la mémoire et sont peu à peu dominés par les pires de leurs instincts, et en arrivent à commettre des imprudences qu’ils rectifient à grands coups de dents.

 

Les humains

Le Dernier Vampire : Christine est une célibataire qui se méfie comme la peste de ses sentiments ; enquêtrice de grande qualité professionnelle, elle est entourée d’une équipe qui la soutient et la suit. Elle a des crampes d’estomac, subit un supérieur hiérarchique qu’on bafferait volontiers, une vie sentimentale agitée… On se prend à l’admirer et à comprendre le dévouement des gens autour d’elle, et on ferait tout pour lui faire comprendre qu’elle est un être de valeur, malgré son inaptitude complète pour le théâtre ! Cette absence de talent rend le personnage crédible : on n’a pas une super héroïne, mais une personne normale, motivée et qui fait de son mieux.

Elle est secondée par Suzanne, son amie qui travaille comme anesthésiste, qui est auteur de théâtre par hobby, et qui révèle plus tard des dons particuliers. Chaleureuse, joyeuse, attachante, Suzanne prend de l’importance en deuxième partie du roman.

Dans les veines : côté police, on a une femme façon « bourrine » dont finalement on sait peu de choses, si ce n’est qu’elle vit une relation conflictuelle avec son hippie de mère ; et le pire des clichés du sale flic, poussif, moche, dont la vie privée est ratée, avec des côtés monstrueux pires que ceux des vampires.

On a également l'adolescente, la victime du roman, la brebis sacrifiée, celle que l’on aimerait protéger et chérir parce qu’elle se bat et espère et aime malgré l’horreur ambiante.

 

Avis

Le Dernier Vampire : on est dans un thriller, avec une touche de romance (pas du tout là où l’on attend) et un soupçon de roman historique. En cours de récit, on vit un retournement de situation vraiment inattendu, et qui change toute la focalisation du titre. Je suis un peu restée sur ma faim avec Christine, que je commençais à beaucoup aimer. Il y aurait eu de quoi faire deux livres plus étoffés… histoire de rester davantage avec Christine comme avec Suzanne, et de creuser encore dans les souvenirs de Donnadieu. Mais voilà un voyage riche, entre Paris et Bordeaux, et entre 2028 et 1793, avec des personnages attachants, et beaucoup d’espoir.

Dans les veines : terrifiant. Pas un souffle d’air dans ce Bordeaux sous la canicule ; et paradoxalement sous ce soleil de plomb, aucune lumière. On sent derrière cette débauche de cruauté comme une envie de jeter au bûcher les livres qui font croire aux gentils vampires : comme dans Treize balles dans la peau, ici aussi les vampires sont des monstres de cruauté qui donnent envie de partir en courant. Très, très sombre.

Extraits des pages 13

« Un inconnu se fige devant le théâtre alors qu’il cheminait le long du chemin de halage où des clochards viennent parfois d’échouer la nuit, sous l’un des ponts qui enjambent le canal. L’homme renonce à errer sur la berge : son regard s’est posé sur les caractères ensanglantés qui barrent l’affiche. Plus que le dessin stylisé (…), c’est le titre de la pièce qui l’intrigue : on dirait un message codé qui lui serait destiné. Non, c’est impossible, il s’agit d’un pur hasard, la Terreur a fait couler tellement d’encre…

Il s’éloigne, puis revient en arrière, troublé par un détail de la composition graphique qui lui avait échappé : « Incroyable, c’est son portrait craché ! » s’étonne-t-il (…). Il secoue la tête : la fille qu’il a déflorée n’a jamais été actrice, pourquoi diable serait-elle venue se fourvoyer dans cette salle de banlieue ? Ce n’est pas elle… Pourtant il a beau se raisonner, il reste statufié face à l’affiche, l’air indécis. Et si elle était là, cachée à l’intérieur de cette bâtisse (…) ? »

(Le Dernier Vampire)

 

« Madame ? »

La voix semblait surgie de nulle part. Elle se retourna : un enfant de sept, huit ans environ, était recroquevillé sur le banc derrière elle. Elle ne l’avait même pas remarqué. Quelle piètre chasseuse tu fais, se morigéna-t-elle.

« Tu peux m’aider, madame, s’il vous plaît ? »

Il était exactement ce qu’elle cherchait. Elle avança de quelques pas vers lui, mais restait méfiante. Trop beau pour être vrai, le père ou la mère ne doivent pas être très loin…

« Je suis perdu. »

Elle s’assit à côté de lui et l’examina (…). Indéniablement un bel enfant, un blondinet comme on en voit dans les catalogues La Redoute. Hans allait être ravi.

« J’ai perdu Maman à la fête foraine (…). Je crois qu’elle est partie sans moi. Dis, tu penses que Maman va me gronder ? »

Et après elle s’étonnera de retrouver son gosse flottant comme un poisson crevé dans la Garonne !

(Dans les veines)

Informations complémentaires

Le Dernier Vampire, de Jeanne Faivre d’Arcier

Éditions Bragelonne – distribution Hachette

384 pages, grand format – 20 €

ISBN 978-2-35294-545-1

 

Dans les veines, de Morgane Caussarieu

Éditions Mnémos, collection Hélios – distribution Harmonia Mundi

448 pages, format poche – 10,90 €

ISBN 978-2-35408-310-6

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