L'Héritière, de Jeanne-A Debats, ActuSF
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Allez savoir pourquoi, mais nous avons visionné la sixième saison de True Blood, et je me suis retrouvée en manque d’histoires vampiriques. Ceci fut l’occasion de faire baisser un peu ma pile à lire (il ne m’en reste que 258, hors livres numériques).
Le début
« Pénétrer sans autorisation et en escarpins dans le cimetière du Père-Lachaise une petite heure avant la minuit du Grand Sabbat n’est pas vraiment une façon classique de commencer son samedi soir.
Suspendue à la grille ornementale, les pieds battant dans le vide, ma jupe prise dans la pointe d’acier d’une fleur de lys, je devais avoir l’air fin. (…)
Heureusement qu’il faisait doux en ce début de printemps.
J’étais beurrée comme un petit Lu, en plus, mais les raisons de l’expédition ne devaient rien à mon état d’alcoolémie. Au contraire, c’était la condition essentielle de sa réussite (…). »
(Chapitre premier, p. 17)
Je m’appelle Agnès Cleyre et je suis orpheline. De ma mère sorcière, j’ai hérité du don de voir les fantômes. Plutôt une malédiction qui m’a obligée à vivre recluse, à l’abri de la violence des sentiments des morts. Mais depuis le jour où mon oncle notaire m’a prise sous son aile, ma vie a changé. Contrairement aux apparences, le quotidien de l’étude qu’il dirige n’est pas de tout repos : vampires, loups-garous, sirènes… À croire que tout l’AlterMonde a une succession à gérer ! Moi qui voulais de l’action, je ne suis pas déçue… Et le beau Navarre n’y est peut-être pas étranger.
Mon avis
J’avais beaucoup aimé Métaphysique du vampire : le personne de Navarre, profondément complexe, gouailleur, charmeur, m’avait évidemment fait tomber dans ses filets, dans le roman comme dans les nouvelles que j’avais lues. J’étais donc à la fois curieuse de découvrir ce titre… et réticente, du fait du titre et de la 4e de couverture : « encore une histoire d’héritière de pouvoirs ! Mince alors, Jeanne-A Debats est elle aussi tombée dans le piège des intrigues cliché ! ». Vu la taille de ma PAL, j’évite désormais tout titre comportant les mots « prophétie », « sept », « héritage », « confrérie » ou « épée ». Cela me permet d’être bien plus rapide dans mes choix : la production de titres est largement suffisante ! Donc, cet effet « saturation » m’a fait traîner des pieds. J’aurais pourtant dû savoir que le cliché n’est ni le genre de l’auteur ni celui de l’éditeur.
On démarre avec une héroïne contemporaine en talons hauts qui escalade les grilles du Père Lachaise, saoule, la nuit… Grâce au point de vue un peu décalé d’Agnès, on découvre la richesse de cet univers et on s’étonne avec elle de l’existence de clans garous et de cénacles vampiriques à Paris. Les codes de la bit-lit sont bien là : récit à la première personne avec pas mal d’autodérision, beaucoup d’action avec des touches de coquetterie et un zeste de romance, mais évidemment revisités par Jeanne-A Debats qui ne peut pas s’empêcher de se montrer joliment irrévérencieuse. Agnès se montre maladroite, elle doute beaucoup, l’intrigue n’est pas du tout celle que le titre laissait entrevoir, ouf. Côté romance, on a une humaine, un vampire, un loup-garou... cela vous rappelle quelque chose ? Évidemment, le vampire ici n’est pas du tout l’être froid et coincé de Twilight ! Soit on ne connaît pas Navarre et on tombe sous le charme à travers le regard d’Agnès-blanche-colombe, soit on le connaît et on se bidonne en imaginant son point de vue de vampire sexuellement très libéré. Tout en étant, bien sûr, sous son charme.
Parmi les personnages, on retrouve l’immortel Géraud, notaire de l’AlterMonde ; et son assistante roussalka (sirène) Zalia, tous deux déjà dans la nouvelle « Lance » (dans l’anthologie Lancelot parue chez ActuSF pour le festival Zone franche 2014). J’ai beaucoup ri aux efforts démesurés que fait Zalia pour contenir ses pulsions psychopathes, efforts qu’Agnès décrit par un « elle est vraiment très gentille ». Quant à Géraud, il rappelle la figure du personnage façon Merlin : un très vieux sage qui connaît les secrets du monde, et peut faire venir l’Ange de la Mort Azraël remettre de l’ordre parmi ses agités de clients (au cours d’une scène mémorable, avec beaucoup de guimauve). On a enfin le personnage « adjuvant », l’aide inattendue, façon Neuville Longbottom, dont je serais curieuse de découvrir l’histoire.
Pour rester dans les codes de la bit-lit, nous sommes plongés dans un univers familier dans lequel le surnaturel a sa place, avec sa hiérarchie et ses codes : Paris et alentour (comme dans de nombreux textes de Jeanne-A Debats), à l’époque contemporaine, avec une lecture sociologique des dissensions entre vampires et garous qui éclaire nombre de romans de Charlaine Harris ou de Stephenie Meyer…
Pour conclure, un roman « vampirique » drôle et à l’intrigue bien menée, dans un univers riche, où l’on prend plaisir à arpenter et survoler Paris, et dans lequel on aborde, sous couvert d’un récit de fiction – comme toujours dans les textes de Jeanne-A Debats – le « vivre ensemble ».
Du même auteur et dans le même univers
Métaphysique du vampire, éditions Helios (poche) et Ad Astra (moyen format) (chronique ici)
« Mémorial », in Anthologie Ghost Stories dirigée par Thomas Dustin-Riquet, éditions Lokomodo, 2011 (avec Céline et Déborah, sans Navarre)
« Jingle hells », in Anthologie online de Noël de la ville de Reims dirigée par Jacques Baudou, 2012 (avec Alphonse, sans Navarre)
« Eschatologie du Vampire », in Anthologie des Imaginales Elfes et Assassins dirigée par Lionel Davoust & Sylvie Miller, Mnémos, 2013 (avec Alphonse, Navarre, Déborah, et le bébé de Jingle Hells)
« Lance », in Anthologie du festival Zone Franche Lancelot, dirigée par Jérôme Vincent, Actusf, 2014 ; in Métaphysique du vampire Collection Hélios, 2015 (avec Navarre… et Lancelot)
Liste plus complète :
Informations complémentaires
L’Héritière, de Jeanne-A Debats http://www.jeanne-a-debats.com/
Éditions ActuSF, distribution Harmonia Mundi
18 €
392 p.
ISBN : 978-2-917689-75-2
Couverture : Damien WORM
Préface : Adrien PARTY – Postface : Jean-Luc RIVERA
Parution : octobre 2014