Interview : Hélène Jambut, éditions Bragelonne 2
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(Suite de l'interview d'Hélène Jambut, responsable éditoriale chez Bragelonne)
Question : Qu’aimez-vous le plus dans votre métier, qu’est-ce qui vous satisfait le plus ?
Réponse : J’ai la chance incroyable d’exercer le métier dont je rêvais, dans la maison d’édition dont je rêvais également, alors que dire… ?
Ce qui me plaît le plus dans mon métier, c’est certainement tout ce qui tourne autour de la découverte d’un texte, français ou étranger, et tout ce qui m’amène à le suivre de bout en bout, jusqu’à rendre un fichier définitif au service fabrication ou à notre diffuseur numérique directement. En ce qui concerne les textes français, c’est un moment formidable de voir le texte sortir, lorsqu’on a travaillé longtemps dessus, que l’auteur était content de ce travail, et que le texte plaît aux lecteurs ; et de manière générale, c’est très gratifiant de faire connaître un de ses coups de cœur ou même un texte auquel on s’est attaché au fur et à mesure qu’on a travaillé dessus.
Question : Quelles sont les principales contraintes à prendre en compte pour quelqu’un qui envisage d’entrer dans le métier ?
Réponse : J’ai eu beaucoup de chance d’arriver là où je le voulais si rapidement, mais je sais que c’est loin d’être le cas pour tout le monde. On me l’a répété pendant toute ma formation : « vous ne trouverez jamais de boulot » (oui oui, nos profs nous disaient ça à longueur de journée, et j’ai peur que ça soit encore pire en ce moment). Je pense donc que la plus grande difficulté, c’est de concrétiser son envie et de dégotter un job.
Une fois qu’on l’a, la principale contrainte que je peux voir est que lire des manuscrits, chercher des auteurs, puis travailler sur des textes, non seulement ça prend du temps mais ça a aussi rapidement tendance à coloniser différents aspects de notre vie. Faire de sa passion son métier, c’est aussi accepter que sa passion devienne en quelque sorte une contrainte. C’est accepter d’avoir beaucoup moins de temps pour ses lectures-plaisir, voire qu’il n’y ait plus vraiment de lecture-plaisir (se retrouver à décortiquer en mode prépa un livre que vous aviez acheté pour vous détendre, par exemple). Mais la plupart du temps, ne vous inquiétez pas, ça se passe très bien :)
Question : Quelle est la part des déplacements professionnels ?
Réponse : Je suis très peu concernée par les déplacements professionnels. Si je continue sur la voie des achats de droits, je serai peut-être appelée plus tard à participer à certaines foires comme celle de Francfort, mais pour le moment je me dirige plutôt davantage vers les auteurs français et le numérique. Je peux être conviée à certains événements autour de l’imaginaire comme la World Fantasy Convention, ou autour du numérique et de ses évolutions, mais cela reste anecdotique sur une année.
Question : Quelle serait une année « type » ? (avec sa saisonnalité, ses événements, etc.)
Réponse : Je ne me sens pas concernée par la saisonnalité : les littératures de l’imaginaire ne font pas vraiment partie intégrante de la rentrée littéraire, l’été voit rarement une véritable baisse d’activité, etc. Je suis plutôt au livre par livre, événement par événement. Chaque fois que je finis une prépa, j’en ai une autre qui m’attend :)
Question : Quelles perspectives d’évolution votre poste offre-t-il ? Avez-vous un objectif précis d’évolution à moyen terme ?
Réponse : J’ai déjà beaucoup évolué depuis que je suis chez Bragelonne, étant donné que j’ai été embauchée au service éditorial en tant que secrétaire. Être responsable éditoriale me convient donc très bien !
Il est possible que prochainement je me consacre à la partie numérique de ma double-casquette actuelle. J’aime énormément travailler avec les auteurs français, donc j’espère assister à un véritable essor de Snark et Emma (Snark fait déjà un très bon démarrage !) et avoir toujours plus de textes à éditer !
Relations avec d’autres maillons de la chaîne du livre
Question : Faites-vous appel à des prestataires de services externes ? Si oui, lesquels et à quelle fréquence ?
Réponse : Tout à fait. En tant qu’éditeur de beaucoup de littérature étrangère (anglophone principalement mais pas que), Bragelonne fait appel à de nombreux traducteurs. Chaque responsable ou assistante éditoriale a son équipe de traducteurs et tient des plannings complexes. Nous faisons également appel à des correcteurs externes de manière systématique, et nous allons très prochainement travailler avec des éditrices externes pour certains de nos titres. Enfin, la fabrication de nos epub ainsi que la numérisation OCR sont faites également en externe.
Question : Quels types de contacts avez-vous avec les autres métiers du livre ? (Auteurs, imprimeurs, libraires, bibliothécaires, etc.)
Réponse : À mon niveau, j’en ai surtout avec les auteurs, les traducteurs, les correcteurs et les agents étrangers ou français. J’en ai également avec notre diffuseur numérique.
Perspectives
Question : Le numérique semble prendre une part croissante dans la stratégie des éditions Bragelonne : le numérique fait-il partie des grands enjeux de l’édition actuellement ?
Réponse : Oui, le numérique fait indéniablement partie des grands enjeux de l’édition. C’est un nouveau mode de lecture, qui ne vient pas détruire le livre papier mais au contraire l’enrichir.
Avec le numérique, nous pouvons nous permettre de publier des textes courts ou sous une forme moins codifiée que nos romans papiers, ou d’élargir nos lignes éditoriales sans avoir de problème de placement en librairie, autant de raisons qui nous ont poussés à lancer les collections Snark et Emma. Avec le numérique, nous pouvons aussi ressusciter des genres littéraires ou des façons d’écrire qui étaient passées de mode, comme le roman-feuilleton. Le numérique est également l’occasion de remettre en valeur certains catalogues, comme nous le faisons avec notre collection Bragelonne Classic, ou d’explorer de nouvelles méthodes de lecture à travers les livres enrichis, qui représentent des aventures passionnantes tant à concevoir qu’à explorer.
En termes de résultats, le numérique n’en est encore qu’à ses débuts mais est déjà en pleine expansion. Certains livres, notamment de romance érotique, font quasiment autant de ventes en numérique qu’en papier (et ce sont des ventes très importantes) ! Une grille de prix juste et de fréquentes opérations commerciales nous permettent également de faire découvrir plus facilement aux lecteurs des ouvrages qu’ils n’avaient pas repérés jusque-là, ou pour lesquels ils ne souhaitaient pas acquérir un ouvrage papier.
Bref, à mes yeux le numérique est un nouveau monde formidable, et pour les amoureux de la lecture, qu’y a-t-il de mieux que de pouvoir, en plus de sa bibliothèque papier, se construire une bibliothèque numérique sur sa liseuse préférée ?
Question : Sur quelles autres problématiques souhaiteriez-vous insister ?
Réponse : Je n’ai rien de particulier qui me vient à l’esprit…
Question : Auriez-vous un conseil à quiconque serait tenté par le monde de l’édition ?
Réponse : Je ne suis pas certaine d’avoir de véritables conseils à donner en la matière. Tout ce que je peux dire, c’est que si c’est vraiment ce que vous avez envie de faire, pourquoi ne pas tenter le coup ? OK, ce n’est pas le secteur le moins bouché du monde en ce moment, mais c’est le cas de plein d’autres secteurs également. Parfois, on peut avoir beaucoup de chance, ou insister au bon moment, et se retrouver exactement là où on rêvait de l’être.
N’hésitez pas non plus à regarder de plus près tout ce que regroupe le monde de l’édition, car il n’y a pas que l’édition dans le monde du livre, et il n’y a pas que le service éditorial dans le monde de l’édition. Tout comme travailler au service éditorial ne signifie pas lire toute la journée, ne vous imaginez jamais ça. Ni même ne faire que travailler sur le texte, ce n’est pas le cas non plus.
Bref, mais je pense que ça vaut pour tout dans la vie : suivez votre instinct et vos envies, tentez le coup pour ne pas regretter ensuite, mais n’oubliez pas qu’une fois confrontés à la réalité, vos rêves n’en seront plus vraiment. Et en même temps, c’est exactement ce qui fait le charme des métiers-passions : la frontière entre le rêve et la réalité est vite estompée !
Merci beaucoup de votre temps et de votre aide !