Interview : Pascal Daniel, éditions Vagabondages 2

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Pascal Daniel a créé les éditions Vagabondages http://www.editions-vagabondages.fr/ , lancées en 2009. Il a gentiment accepté de se prêter au jeu du questionnaire « métier » pour nous parler de son expérience d’éditeur. Suite de l’entretien démarré ici.

 

Question : Quelles sont les principales contraintes à prendre en compte pour quelqu’un qui envisage d’entrer dans le métier ?

Réponse : je t’en ai parlé : c’est d’avoir une bonne banque ! Les contraintes sont purement économiques, surtout dans la BD qui est une industrie. Ça coûte cher à produire, il faut donc beaucoup en vendre pour rentabiliser ; les principales contraintes sont donc économiques. Il y a des tas de projets que j’ai refusés parce que je n’avais pas les moyens de les faire, et c’est terriblement frustrant ! Par exemple, tout au début de l’activité, au cours d’un premier salon, un auteur m’a présenté un projet que je n’ai pas pu faire faute de moyens… et lui a signé quelques années après chez 12Bis, et ça a cartonné. C’est frustrant !

Les contraintes sont en fonction de chacun : certains ont horreur de communiquer, n’aiment pas parler d’eux ; si la personne n’est pas à l’aise dans le commercial, elle devra se forcer… les contraintes sont celles de ta personnalité. Mais pour moi, la principale contrainte est bien l’économique. Quand tu arrives à vendre à des millions d’exemplaires, tu as d’autres contraintes… en fait, il y a l’éditeur qui a eu un best-seller et celui qui n’en a pas eu.

 

Question : Quelle serait une année « type » ? (avec sa saisonnalité, ses événements, etc.)

Réponse : hormis les salons, qui sont réguliers – je commence avec Angoulême, puis Paris, etc. – qui rythment l’année, il n’y a pas de saisonnalité, mais une façon de travailler les projets. Si tu as un seul projet, ça se dilue dans l’année ; si tu en as quatre, les étapes se répètent.

Par exemple, les contrats avec les auteurs, dont je n’ai pas parlé, mais [qui sont] très importants : tu négocies les droits, les avances, etc. Le rythme est donné par les parutions ; ce n’est pas une année, c’est un projet type qu’il faut analyser : lancer, suivre, recevoir la couverture pour la vente au diffuseur, travailler la communication et la couverture, puis ça s’accélère vers la fin avec l’envoi à l’imprimeur en même temps que la communication. Je prends les projets au fur et à mesure, je ne peux pas repousser les sorties comme font certains en fonction des fêtes ou des calendriers ; je ne peux pas le mettre en place, je suis trop petit, mais les gros éditeurs le font pour par exemple rapprocher la sortie du tome 2 de celle du tome 1. Moi, quand j’ai le bouquin, je le sors. Mon rythme est donc donné par les projets, qui peuvent se chevaucher.

 

Question : Quelles perspectives d’évolution ton poste offre-t-il ? As-tu un objectif précis d’évolution à moyen terme ?

Réponse : pour moi, c’est l’évolution de la structure qui m’intéresse ; je me suis fixé des étapes : je sors 4 à 5 projets par an, sachant qu’un objectif serait de sortir environ 10 à 12 projets par an. Si tu as un projet par mois, tu lisses tes entrées financières sur l’année. Mon objectif est donc d’augmenter mon catalogue et le rythme des sorties. Toutefois, si tu as trop de sorties, tu ne peux plus les sortir tout seul, ou alors tu fais des erreurs. Par exemple, quand j’ai géré en même temps la sortie du coffret Normandie 44 et Private Liberty, ça m’a fait un gros surcroît de travail !

 

Relations avec d’autres maillons de la chaîne du livre

Question : Tu as évoqué le sujet plus haut, mais j’aimerais en savoir plus. Fais-tu appel à des prestataires de services externes ? Si oui, lesquels et à quelle fréquence ?

Réponse : oui, je fais appel à de la sous-traitance : pour le graphisme, la maquette que je faisais au début tout seul, pour la correction et la traduction, l’attachée de presse ; les auteurs sont indépendants, comme les coloristes (…).

Diffuseur, distributeur, imprimeur, façonneur… j’ai fait le tour : ce n’est pas pour rien qu’on appelle ça la chaîne du livre !

 

Question : Quels types de contacts as-tu avec les métiers du livre qui t’aident à vendre ? (Libraires, bibliothécaires, etc.)

Réponse : à partir du moment où tu as des diffuseurs, tu perds le contact avec les libraires, même si j’en ai gardé quelques-uns en direct ; je rencontre les librairies et bibliothécaires en salon, les librairies de musées. (…) En contact direct, j’ai gardé quelques clients pour avoir un retour sans avoir le filtre du diffuseur.

 

Interview : Pascal Daniel, éditions Vagabondages 2

Perspectives

Question : Le numérique semble prendre une part croissante dans la stratégie de certaines maisons d’édition. Le numérique fait-il partie des grands enjeux pour toi ?

Réponse : j’ai deux diffuseurs numériques, mais pas pour tous les titres. Quand on édite de la BD, on hésite un peu : si tu regardes les catalogues numériques, ce sont souvent des titres en perte de vitesse. En général, les gros éditeurs restent méfiants parce qu’ils ne veulent pas tuer le papier tel qu’il existe. La chaîne est perfectible, mais il y a un équilibre : si tu développes trop le numérique, tu romps l’équilibre. On peut craindre la disparition de librairies, qu’il y aurait moins d’auteurs… j’ai du mal à croire aujourd’hui à une vraie offre numérique pour un produit conçu pour le papier ; si [le numérique] explose, ça explosera sur du produit conçu pour le numérique à grande échelle. En termes de création, surtout en BD, ça pose plein de questions : la BD est-elle lisible sur une tablette ? Le but du numérique est une lecture enrichie : il faut du contenu, du son, des images, de l’animé… je ne sais pas où se situe la frontière dans ce cas entre BD numérique et animé. (…) Le modèle économique est encore sur le papier. Dans la BD, il y a encore les collectionneurs, qu’on voit dans les salons avec leurs valises. Les éditeurs restent frileux, mais il ne faut pas négliger le phénomène : le jour où ça va basculer, il faudra être prêt ; en France, ça reste marginal – le marché est très différent aux États-Unis où le marché est si gros qu’il y a de la place pour tout le monde. (…)

 

Question : Sur quelles autres problématiques souhaiterais-tu insister, que nous n’aurions pas abordées ?

Réponse : je crois qu’on a fait le tour… (…) Ah si, dans ton étude, ce qui est important c’est de positionner la taille des éditeurs (…). Tu as autant de diversité d’éditeurs que de diversité de produits : un éditeur de poésie t’aurait répondu différemment. En BD, tu as les gros : Dargaud, Glénat, Casterman, Delcourt, Soleil… ensuite, les moins gros comme Futuropolis ; après, les petits où je me situe ; et une dernière catégorie avec les très petits, qui font une BD par an ou travaillent en association ou en hobby. Mon activité a un côté artisanal de par sa taille. (…)

 

Question : Aurais-tu un dernier conseil à quiconque serait tenté par le monde de l’édition ?

Réponse : ce qui se dégage, c’est l’importance d’être lucide : ne pas se laisser embarquer par un rêve, une utopie. C’est vrai dans toute entreprise, pas que dans l’édition. Il faut être lucide par rapport à la difficulté, au contexte économique, aux contraintes… il ne faut pas penser tout révolutionner quand on se lance.

 

Merci beaucoup pour ton aide et pour avoir accepté de consacrer du temps à cet entretien !

(Photo Ouest France)

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