Interview : Pascal Daniel, éditions Vagabondages 1

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Pascal Daniel a créé les éditions Vagabondages, spécialisées en BD, qu'il a lancées en 2009. Il a gentiment accepté de se prêter au jeu du questionnaire « métier » pour nous parler de son expérience d’éditeur, comme l'avait fait Paola Grieco.

 

Bonjour ! Et merci beaucoup d’accepter de répondre à ces questions. Nous allons tout d’abord évoquer ton parcours, puis ton poste actuel, et enfin les perspectives et enjeux du secteur de l’édition.

Parcours

Question : Quel a été ton parcours (tes études, les grandes étapes de ta vie professionnelle) jusqu’à ce jour ?

Réponse : J’ai un diplôme d’ingénieur en informatique industrielle et un master en administration des entreprises. Ça, c’est pour les diplômes… ça n’a apparemment rien à voir, mais le master m’aide dans mon métier d’éditeur, dans la partie gestion et économique de la maison d’édition. Mon parcours : j’ai travaillé plutôt dans l’industrie et l’informatique pendant plus de vingt ans, de 1984 jusqu’en 2007, c’était très éloigné du monde de l’édition ! (…) En 2007 ou 2008, (…) je me suis retrouvé confronté au choix d’être muté dans une autre agence ou de négocier mon départ. [Ma femme] avait déjà sa librairie BD à Bayeux, on connaissait quelques auteurs, dont Jean Blaise, et j’avais envie d’autre chose. J’ai réfléchi à plusieurs possibilités, mais monter une maison d’édition en lien avec la librairie me paraissait à la fois un choix de vie et [un choix] professionnel. C’est ce que j’ai fait, plutôt que de monter une boîte dans l’informatique, ce qui aurait été plus logique en apparence. C’était peut-être un fou… Je confirme, c’était fou ! (Rires) C’était plus dans une cohérence de projet de vie (…). C’était également aussi parce que ça me plaisait : j’aimais les livres, la BD en particulier.

 

Question : Si je comprends bien, l’édition n’était pas forcément le domaine dont tu rêvais dès le départ ?

Réponse : Tu veux dire : est-ce que j’y ai pensé pendant des années ? Non, pas particulièrement, j’étais vraiment pris par mon travail. Ça a plus été une opportunité, quelque chose qui s’est présenté à moi, qui correspondait à ce que j’ai envie de faire : il y a de la créativité, ce que je n’avais pas du tout dans mon métier d’avant. Il y a tout de même (…) une expérience commerciale nécessaire : il faut être commercial pour être éditeur, tu es toujours en train de vendre ou d’acheter quelque chose. C’est une part [du métier] qu’on ne soupçonne pas forcément : on rêve de créer un livre, mais ce n’est pas la partie la plus importante du métier. Si tu crées un livre, mais que tu ne sais pas le vendre, tu cours à l’échec. C’était donc une opportunité qui me permettait de mettre en perspective mon expérience de gestion de commerce voire en informatique : j’ai pu acquérir facilement et rapidement la maîtrise des outils InDesign et de la suite Adobe, par exemple ; et il y a aussi cette partie créativité et enfin la réalisation d’une entreprise. C’est pour ça que je n’ai pas voulu le créer sous le mode associatif, c’est une SARL. Je ne voulais pas que ce soit fait pour « essayer » ; dans le mode « association », il y a moins le côté entrepreneurial.

Interview : Pascal Daniel, éditions Vagabondages 1

Poste actuel

Question : dans le cadre de ton poste actuel, quelles sont les missions que tu dois accomplir ?

Réponse : elles sont multiples ; sur le papier, le métier d’éditeur est simple : quand tu regardes une fiche métier d’éditeur, c’est recevoir les manuscrits – en BD, on appelle ça des « projets », sous forme d’un scénario et de quelques planches, qu’il faut étudier [pour voir] si ça entre dans la ligne éditoriale – ou bien définir le projet – c’est moi qui dis « on lance une nouvelle collection » ou « on lance un projet dans ce domaine-là ». Par exemple, pour Le Havre, c’est moi qui ai voulu créer la collection. Ensuite, il faut étudier les projets, de manière économique : est-ce que j’ai la trésorerie nécessaire et est-ce que ça va se vendre ? Rien que pour cette question-là, il n’y a pas de réponse toute faite. Se poser la question, c’est se demander comment rentabiliser le projet, à combien je vais vendre le livre : ça définit le point mort, l’impression. (…) Le métier d’éditeur, c’est aussi un métier où tu apprends à dire « non ». (…) Les projets aboutis restent rares.

Il faut aussi faire des demandes de devis, négocier avec les imprimeurs ; c’est un leitmotiv dans le métier, on parle toujours d’argent. Imaginons qu’on est parti sur le projet, [cela nécessite de] le suivre. Sur la BD, ça dure un an : pendant un an, je reçois les planches des dessinateurs ; dans le meilleur des cas, tout est prêt et je monte [les planches] dans InDesign, je mets les bulles. On peut aussi travailler avec un coloriste. (…) [C’est] un travail technique que je réalise moi, ça me prend pas mal de temps. (…) Une fois le bouquin terminé, j’envoie chez l’imprimeur, éventuellement je vais au calage ; avant ça, j’ai vu les diffuseurs, je leur ai vendu leur projet pour qu’ils le placent bien ; et une fois imprimé, une partie parti chez les diffuseurs, je récupère une partie des exemplaires pour la communication : pour les auteurs, pour les musées et il y en a une partie stockée chez moi.

Il y a là une partie gestion des stocks : je gère tous les stocks de bouquins. Là commence le vrai boulot (…) : la partie qui incombe à l’éditeur est la partie « comm’ », souvent négligée – même moi au début ! – par les petits éditeurs, alors que c’est le plus important. Faire un bouquin, c’est facile, mais le vendre et communiquer, c’est très difficile. Personne ne t’attend, il y a beaucoup de concurrence. Cette partie communication se construit au fur et à mesure. Je travaille parfois avec une attachée presse, je fais un peu de publicité, par exemple dans Zoo Mag, je fais des interviews… Dans la comm’, j’inclus également les salons : il faut les rentabiliser bien sûr, mais il faut aller vers le public, montrer qu’on existe, qu’on est un acteur important de la BD. Ces dernières semaines, j’étais à Perros-Guirec, au Salon du livre, je serai à Caen…

J’ai oublié une partie importante de la communication : faire une belle couverture, la plus « vendeuse » possible. Au début, on tâtonnait ; mais depuis quelques années, je travaille avec un graphiste.

La définition du prix du livre est très importante : c’est définir ton point mort, et de là découle ton tirage, le minimum de ventes, etc. C’est le départ de tout, du point de vue équilibre économique.

Donc, ça en fait un métier simple sur le papier – c’est pour ça que tout le monde pourrait être éditeur, il n’y a pas besoin d’études ! –, mais ça devient très compliqué quand tu prends tout mis bout à bout. (…)

 

Question : Quelles sont les compétences et les connaissances nécessaires à ce poste ? Existe-t-il une formation obligatoire ou fortement recommandée pour exercer ce métier ?

Réponse : étant donné que c’est un métier « facile » en théorie, mais très compliqué à mettre en œuvre, parce que ça demande des compétences multiples : de communiquant, de commercial, de gestionnaire, d’avoir une réflexion sur ton catalogue et ta ligne édito, pour moi il n’y existe pas de formation. En ce moment, j’ai une stagiaire en Master 2 des métiers du livre, c’est très intéressant ; mais elle fait ça en un an, ce qui ne lui donne pas le temps de voir la partie immergée de l’iceberg. Il y a des gens qui ont ces capacités de façon innée, ou alors ce sont des compétences que tu acquiers en ayant eu d’autres expériences professionnelles avant. Pour moi, il n’y a pas de formation type, il y a les formations métiers du livre qui sont intéressantes, mais moi je suis un petit éditeur, c’est très différent de ce qui se passe dans de grosses structures. Pour être éditeur comme moi je le suis, il y a besoin de bon sens, d’une logique et d’une expérience professionnelle antérieure.

 

Question : Qu’aimes-tu le plus dans ton métier, qu’est-ce qui te satisfait le plus ?

Réponse : la satisfaction d’avoir mené un projet jusqu’à son terme ; j’ai toujours tendance à m’enthousiasmer sur de nouveaux projets. Une BD, c’est un an de travail entre l’idée et la date de sortie, voire 18 mois. Tu dois toujours réfléchir à l’avenir ; là, je devrais travailler sur 2015, voire 2016. (…) Tu es toujours dans la création, dans la quête. Et puis quand tu vois le livre fini, quand tu l’as dans les mains, ça pourrait être un moment agréable… quand on est à ce stade, tu découvres le produit fini, et tu découvres les coquilles, les couleurs pas calibrées comme tu voulais… Il y a toujours un moment de décalage entre ce que tu imaginais et ce que tu vois ! C’est là aussi où tu te dis : « maintenant, il faut les vendre… ils sont là, mais il faut qu’ils partent ! » (…)

C’est un meilleur moment pour l’auteur que pour l’éditeur ; l’auteur a enfin concrètement en mains ce qu’il a imaginé. Toutefois, ça reste agréable, tu vas défendre le livre, tu vas vois la presse, etc.

 

(A suivre : les contraintes ; une « année type » ; les relations avec les autres maillons de la chaîne du livre ; les perspectives : évolution et numérique)

(Crédits photo : S. Scardigli)

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